Une belle salle de fête,  la table dressée pour le repas, les convives qui arrivent par petits groupes… L’ambiance est joyeuse et le jeune jubilaire souriant… Après le repas, il prend sa guitare et égrène les chansons qu’il apprécie, un répertoire collectionné au fil des ans… Sa technique n’est pas exceptionnellement bonne, la justesse du chant laisse parfois à désirer, les auditeurs n’hésitent plus entre le rire et les applaudissements, mais il s’est beaucoup exercé et il tient à partager ce moment précieux avec ses hôtes…

A l’entrée d’une école, tous les soirs de décembre, les couloirs s’illuminent. Une immense crèche provençale dévoile ses secrets. Les écorces recouvrent les poteaux, la mousse cache le polystyrène, les poissons nagent pour de vrai… C’est un ouvrier forestier, papa d’élèves, qui l’a construite durant des jours, des soirs et des week-end.

Elle a près de cinquante ans, elle est prof de piano et mère de famille. Elle s’exerce depuis plus d’un an, entre 500 et 800 heures au total, pour jouer une seule fois, dans une petite salle sur un beau piano un concert de Bach. Ses amis, des connaissances de longue date, d’autres qu’elle a perdus de vue remplissent les rangs. Pendant plus d’une demi-heure, ils retiennent leur souffle, elle laisse glisser les doigts sur les touches… La musique s’écoule légère ou grondante, rapide ou joyeuse avant de laisser place aux applaudissements…

Ecrire pour le plaisir, c’est son nouveau truc! Elle écrit, fait illustrer, puis met en page et relie des petits livres pour ses élèves. Une dizaine en quelques mois à plusieurs exemplaires chacun. Elle qui croyait qu’elle n’avait que le temps de bien faire son travail, qu’elle n’avait plus le temps de vivre. Et le temps passé maintenant à écrire, c’est ce temps qui la fait vivre…

Ce sont quelques exemples. Mais ils sont nombreux ceux qui cultivent leur jardin secret, leur violon d’Ingres ou leur péché mignon.
Pourquoi? Pourquoi toutes ces heures passées? Que les magasins soient ouverts ou fermés, qu’il fasse beau ou pluvieux, que le patron soit pressé ou pas, des heures sont investies dans un but non lucratif… C’est comme un besoin impératif, le besoin de faire autre chose que manger, travailler, nettoyer et dormir, le besoin d’avoir la liberté de faire quelque chose pour soi-même, le besoin de montrer une autre facette de soi…

Cela fait écho à mon sens à deux phrases entendues au hasard des méandres de la vie:
« l’importance de ne pas subir sa vie »
« la beauté sauvera le monde » (Dostoïevski)

Il s’agit de trouver un espace pour s’exprimer, pour offrir de soi sans contrepartie, pour  donner de l’épaisseur à la vie… Hors des contraintes et des obligations, faire quelque chose pour soi d’abord et qui puisse ensoleiller la journée de ses proches ou de connaissances plus lointaines… Et soudain, le temps s’étire généreusement, il n’y en avait pas assez et voilà qu’il y en a plus et qu’il en reste encore… Le temps prend de l’épaisseur et des largesses, et la vie avec lui…

Février 2014