«Je vous comprends, je me mets à votre place» qu’on dit, n’importe quoi! On imagine ce qu’on ferait et penserait si on était à la place de l’autre, mais justement, on n’y est pas! On parle comme si on jouait à la bague d’or et qu’on cédait sa place pour que l’autre se repose et qu’on reparte à sa place, la belle affaire!

ELLE, elle a une petite fille. En fait, elle a quatre enfants, mais sa plus jeune fille est malade. Elle ne sait plus comment concilier les aller-retour à l’hôpital et les devoirs des frères et sœurs. Elle me dit qu’elle est contente d’avoir un métier où le corps donne le meilleur, ainsi elle ne voit pas le corps uniquement comme un lieu de souffrance.

ELLE, je ne la connais pas, j’ai seulement entendu parler d’elle. Son mari est décédé suite à un cancer. J’ai pleuré sous ma douche en apprenant la nouvelle de sa mort, mêlant mes larmes aux gouttes du réconfort.

ELLE, son mari est décédé, un cancer aussi. Je la croise quelques années plus tard, tout cela est encore présent à mon esprit, mais elle me dit : «Tu sais, cela fait trois ans déjà, il s’en est passé des choses depuis…»

ELLE, elle vient de perdre son mari d’une crise cardiaque en pleine fête de mariage. Je ne peux pas communiquer avec elle, nous ne parlons pas la même langue. Elle est assise au milieu d’une foule venue la soutenir. On dépose dans ses bras sa petite fille qui vient de tomber. Comment peut-elle la consoler de son malheur de petite fille? Je mêle mes larmes aux leurs. Incompréhensible, alors que je ne la connais presque pas…

ELLE, elle a perdu deux de ses enfants. L’un était handicapé, l’autre est mort d’une maladie foudroyante. A l’heure de la retraite, il ne lui reste plus que ses mains inutiles et son cœur trop vide.

ELLE, elle a perdu son mari dans un accident du travail. Des mois plus tard, elle ne peut toujours pas y croire. A une amie qui souhaitait la mort du sien, elle rétorque : «Tu ne sais pas ce que tu dis. Au moins, tu peux encore lui poser des questions et recevoir des réponses…»

Destins croisés, écheveau de nos vies enlacées. Femmes, épouses, mères, compagnes, qui peut dire laquelle souffre le plus, laquelle a une plus grande épreuve à surmonter? Qui peut se mettre à leur place?
Bouleversée à mon tour par l’ouragan de la maladie et par la peur de la mort d’un être cher, la douleur des autres résonne en moi.

Effarée que d’autres soient frappés par un destin subit sans avoir eu l’occasion de s’y préparer. Interloquée par les chemins sur lesquels la vie nous mène. Désarçonnée par les souffrances qui s’amoncellent devant les pas de certain-e-s (les femmes ne sont pas les seules à souffrir…). Je regarde autour de moi, hébétée, j’écoute et je recueille des paroles, des impressions, des larmes…

Je pense à vous… oui, cela, je peux le dire…
Je me mets à votre place… je ne le dirai plus!

Novembre 2014