Il vient du Kosovo. Il est arrivé il y a quelques mois, c’est le premier hiver qu’il passe en Suisse. Sa famille lui manque, il se sent seul et il a froid dans les rues où les gens marchent pressés et chargés de paquets. Il est fatigué par de dures journées de travail sur le chantier. Creuser, pousser la brouette, remplir, vider. C’est lui qui est vidé. Harassé, il entre dans un bistrot et s’assied lourdement.

A la table voisine, Gustave sirote son verre de rouge. Son regard se perd à travers la fenêtre, sans rien voir. Lorsque la serveuse passe entre les tables pour allumer les bougies, il s’énerve: « Ce n’est pas assez qu’on nous fasse entendre ces chants de Noël à tous les coins de rue et qu’on nous illumine chaque lampadaire, il faut encore qu’on nous fasse tournicoter un angelot sous le nez avec une misérable bougie de réchaud. Vous pourriez plutôt nous offrir une tournée ! »

La serveuse ne répond pas, elle arrive à la table de Meriton. Lorsqu’elle allume sa bougie, il dit doucement : « Merci ! » Et elle s’exclame : « En voilà au moins un qui sait dire merci ! » Gustave ne réagit pas, mais il réfléchit. Il s’approche de Meriton et lui dit : « Tu n’en as pas marre de ces lumières, de ces musiques, de ce fichu Noël qui ne fait que de te rappeler que tu es tout seul ? »
Meriton parle lentement, il cherche ses mots : « Je regarde. Je ne connais pas Noël en Suisse. Quand il fait nuit le soir, j’aime voir les lumières, les couleurs. Quand je suis triste, j’aime entendre la musique. » Puis il se tait. Il repense au soir précédent. A l’arrêt de bus, il a vu une petite fille avec son papa. Il portait un gros cabas. La petite fille était toute souriante, elle tenait la main de son papa et elle caressait le papier cadeau dans le sac. Cela lui a fait chaud au cœur et lui a fait penser à sa fille qu’il a laissée au Kosovo.

Pendant ce temps, Gustave a apporté son verre de vin et il s’est assis à la table de Meriton. Il se tait, il pense aussi. Lui aussi a une fille et s’il déteste tellement Noël, c’est que cela fait si longtemps qu’il ne l’a pas vue. Après une dispute, il est parti en claquant la porte et il ne sait même pas si elle est mariée, si elle a des enfants, si elle est heureuse ou non.
Meriton demande : « Tu as des enfants ? » Gustave ne répond pas.
Meriton poursuit : « Noël, c’est la fête pour les enfants. Dans ma maison, les enfants mettent des couleurs sur les portes et les fenêtres et ils chantent toujours. »
Gustave rétorque :  « C’est surtout la fête des commerçants, ils s’en mettent plein les poches, mais ce n’est que du gaspillage… »
Meriton ne comprend pas le mot gaspillage ! Gustave lui explique que le gaspillage, c’est quand on a une grande quantité de quelque chose et qu’on ne sait plus comment l’utiliser. Meriton dit : « Je crois que je fais du gaspillage d’amour ! »
Cette fois, c’est Gustave qui ne comprend plus rien…

Après un moment de silence, Gustave et Meriton regardent autour d’eux. Dans un coin de la salle, il y a une vieille femme, toute seule elle aussi. Sans besoin de parler, après un hochement de tête, ils se lèvent, emportent leur boisson et leur bougie puis s’approchent de la vieille femme. « On peut? », demande Gustave. Elle acquiesce d’un sourire.

La serveuse les observe du coin de l’œil et s’avance : « Il nous reste quelques portions du menu de midi, plus personne ne viendra ce soir, je vous sers une assiette ! » Ils sont assis tous les quatre. Les bougies et l’amitié d’un instant les réchauffent. Pendant que Meriton et la vieille dame discutent, Gustave écrit discrètement un sms … Joyeux Noël !