Une jeune fille habitait dans une petite maison isolée en bordure de forêt. Elle avait toujours vécu à cet endroit. Elle aimait la douceur de la lumière du soleil à travers les arbres, la tranquillité du chant des oiseaux et le calme des animaux qui viennent brouter à la tombée du jour. Autour de son cou, elle portait toujours une coquille de noix fermée, un bijou en or, cadeau de sa grand-mère. Mathilda n’avait pas toujours vécu seule dans cette jolie maison simple mais confortable. Elle y avait grandi, entourée de ses parents qu’elle aimait de tout son cœur.

Une fois par semaine, elle se rendait à la ville voisine vendre les champignons récoltés chaque matin dans la forêt. Elle y retrouvait une vieille dame toute ridée qui vendait les légumes de son jardin. Ses légumes étaient aussi ridés qu’elle, mais ses yeux pétillaient de malice et de gaité.

Chaque semaine, la vieille dame proposait une devinette : « Mathilda, quelles sont les paroles de la rivière ? » « Mathilda, quelles étoiles pourraient être tes sœurs ? » Mathilda souriait mais ne répondait pas. Son père lui avait toujours dit qu’il ne fallait croire que ce qu’on voit et se méfier de son imagination. Peu à peu, Mathilda avait cessé de parler aux oiseaux, elle se contentait de les observer, elle n’avait plus couru avec les lutins de la forêt, mais elle continuait de suivre leurs conseils pour trouver les meilleurs champignons. C’est pourquoi, presqu’adulte, elle ne répondait pas à la vieille dame, refusant d’imaginer le langage des animaux, des sources et des étoiles.

Son obstination à refuser toute imagination et à ne se fier qu’à ce qui est certain s’était renforcée depuis le jour où ses parents étaient partis pour un long voyage, la laissant seule à la maison avec les recommandations d’usage : « Tu fermeras bien la porte et les fenêtres, tu n’ouvriras la porte à personne et surtout, tu sélectionneras avec soin les champignons avant de les vendre ! »

Elle avait pris ses responsabilités très au sérieux et avait commencé sa petite vie de manière sérieuse et autonome. Depuis longtemps, elle savait faire la cuisine, nettoyer la maison, soigner le jardin et choisir les champignons. Chaque soir, elle se demandait quand ses parents allaient rentrer de voyage.

A la fin de la première semaine, elle s’était rendue toute seule au marché. La vieille dame avait été bien étonnée de la voir arriver sans ses parents, mais elle n’avait pas posé de question. Les mois ont succédé aux semaines et les parents n’étaient toujours pas rentrés. Mathilda avait cessé de courir à la porte à chaque bruit de pas et de jeter un coup d’œil à chaque fois qu’elle passait devant la fenêtre. Elle attendait leur retour et refusait d’imaginer ce qui aurait pu leur arriver pour expliquer leur absence prolongée.

C’est ainsi que quelques années plus tard, elle n’avait pas versé une larme et n’envisageait ni leur mort, ni quoi que ce soit qui les retienne loin d’elle. Elle continuait à fermer sa porte et ses fenêtres et à bien choisir ses champignons.

Mais un jour, sans le vouloir, elle a ramassé des champignons qui ne devaient pas être mangés. Elle les a vendus au marché, avec les autres, et dans les jours qui ont suivi, le médecin de la ville voisine a vu arriver plusieurs personnes qui souffraient de terribles crampes d’estomac.

En une semaine, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre et quand Mathilda revient au marché, les clients comme les marchands ne parlent que de ça. La jeune fille comprend tout de suite qu’elle est la cause de ce malheur. Elle se tourne vers la vieille dame et lui demande que faire. Celle-ci sourit et lui dit à l’oreille : « Tu as 3 jours pour trouver 3 choses qui ressemblent à un chapeau de champignon. Fais-en une petite soupe que tu donneras aux malades et ils seront guéris. Cherche avec ton cœur. »

Mathilda laisse là ses champignons et s’enfuit en courant ne supportant plus les bavardages qui l’entourent. En chemin, elle reprend ses esprits. « Qu’est-ce qui ressemble à un chapeau de champignon ? » Elle n’en a aucune idée. Elle regarde autour d’elle, toutes les feuilles qu’elle voit ont des formes de croissant de lune, de goutte d’eau ou de cœur, mais aucune ne ressemble à un chapeau de champignon.

Elle poursuit sa route et arrive à une petite maison. Elle frappe à la porte, mais personne ne répond. Elle contourne la maison et se rend dans le jardin potager. Elle aperçoit des tomates charnues, pas très épaisses, qui virent du rouge au brun… On dirait des chapeaux de champignons. Quand Mathilda tend la main pour en cueillir une, une grosse voix retentit : « Espèce de voleuse ! » Mathilda se retourne et voit un grand bonhomme, une main sur la hanche alors que l’autre tient une fourche aussi grande que lui. Elle est très effrayée, mais elle veut absolument obtenir une de ces tomates. Elle dit de sa voix la plus douce : « Excusez-moi, personne n’a répondu lorsque j’ai frappé à la porte. Je suis à la recherche de 3 ingrédients pour guérir des personnes malades. S’il vous plait, ayez pitié de moi, sinon, ils vont mourir. Donnez-moi une seule de vos belles tomates.» L’homme se radoucit, cueille la plus grosse tomate et la met dans la main de Mathilda.

Celle-ci repart toute heureuse, elle ne sent pas se fendiller la coquille de noix pendue à son cou.

Le lendemain, elle aperçoit un vieux berger entouré de ses moutons. Elle s’avance vers lui et manque de tomber tant elle est faible. Lorsqu’il comprend qu’elle n’a rien mangé depuis deux jours, il l’invite dans sa cabane pour lui offrir un verre de lait et un morceau de pain. Sur la table sont posés trois rangées de petits fromages, tout blancs, tout pointus, posés sur des feuilles de vigne. Mathilda saute de joie : on dirait des chapeaux de champignon !

Après avoir bu son verre de lait, Mathilda est à nouveau pleine d’entrain. Elle demande au berger s’il veut bien lui offrir l’un de ses fromages. Celui lui demande ce qu’elle lui donnera en échange. Elle n’a rien à proposer. Il lui dit alors de faire la vaisselle et de récurer la cuisine. Elle accepte de bonne grâce, sans avoir encore vu la pile d’assiettes et de plats qui s’entassent dans l’évier… Le berger, qui souhaite la garder encore un peu près de lui ou qui pressent qu’elle est peut-être celle qu’il cherche depuis si longtemps, lui propose de partager son repas avant de poursuivre sa route. Elle accepte et, sans y prendre garde, commence à raconter son histoire. Quand elle parle de ses parents disparus, le berger l’écoute avec grande attention. Après le repas, il lui demande de le suivre sur la colline. Il lui montre une petite tombe toute verte sur laquelle se dresse deux petites croix de bois. Il lui raconte l’histoire de deux voyageurs qui étaient arrivés au village, fatigués et très malades. Les soins des villageois n’avaient pas permis de les guérir. Ils les avaient enterrés côté à côte face au soleil couchant. Le berger raconte qu’avant de mourir, le voyageur lui avait parlé de sa fille qui les attendait dans une jolie petite maison au bord de la forêt, il lui avait demandé de la rechercher pour l’assurer de l’amour de ses parents. Le berger avait marché des jours et des mois avec son troupeau, traversant forêts et ruisseaux, passant par cols et collines, interrogeant les passants et questionnant les voyageurs, il n’avait jamais trouvé la jolie maison, ni sa douce habitante.

Cette fois-ci, Mathilda verse les larmes qu’elle avait si longtemps retenues. Puis elle donne un baiser au berger, emporte le précieux fromage et reprend sa route, sans s’apercevoir que la coquille de noix se fendille à nouveau.

La nuit tombe soudainement, la jeune fille s’abrite sous un arbre et s’endort adossée contre le tronc rugueux. Au matin, elle découvre de nombreuses noix autour d’elle. Elle en casse quelques unes en guise de petit déjeuner. Elle tient un cerneau dans sa main, elle le frotte, puis le regarde : on dirait un chapeau de champignon !

Elle tient ses trois ingrédients et prend le chemin du retour. Arrivée près d’une fontaine, elle trouve une petite casserole, elle se penche au-dessus de l’eau pour en puiser un peu afin de cuire sa soupe. Lorsqu’elle se penche au-dessus de l’eau, elle aperçoit son reflet et la coquille de noix, son bijou hérité de sa grand-mère. La noix, fendillée à chaque fois que la jeune fille a laissé libre cours à son imagination, libérée de son carcan de métal, prend enfin la place de son cœur. Joie, tristesse, amour et imagination la submergent. Dans la petite casserole, elle mêle ses larmes à l’eau de la fontaine, elle y plonge la tomate, le fromage et les cerneaux de noix.

Une fois cuite, cette délicieuse soupe a guéri tous les malades. Ils viennent chaque semaine acheter leurs champignons au marché et sont tout curieux d’entendre les nouvelles devinettes de la malicieuse marchande… « Imaginez la recette d’une soupe aux rayons de lune ! Imaginez le parcours de l’eau sous la terre ! Imaginez… Imaginez… »