Il était une fois une histoire que j’avais essayée et qui ne m’allait pas si mal mais ce n’était pas la mienne (José Parrondo )

Elle avait bien essayé de jouer à la grand-mère parfaite. Elle préparait de petits gâteaux pour la venue de ses petits-enfants. Elle se rendait chez eux le dimanche à midi, appuyée sur sa petite canne, les cheveux bien tirés, retenus dans un sage chignon. Elle avait dupé son monde pendant de nombreuses années. Son fils avait oublié les histoires rocambolesques qui arrivaient sans cesse alors qu’il était enfant et que sa mère échafaudait des plans pour acquérir de la nourriture sans payer, se faire inviter à des fêtes où elle ne connaissait personne ou passer des vacances avec des amis, sur invitation… A cette époque-là, telle une pile électrique, elle débordait de vie et d’énergie et emmenait son fils dans une féérie toujours renouvelée.

Lui avait tout oublié. Il était devenu banquier, il s’était marié et avait eu deux enfants, un garçon et une fille. Il appréciait les habitudes respectées, les rendez-vous tenus et les personnes prévisibles.

Tandis qu’elle n’avait rien oublié de ces années folles. D’ailleurs, elle gardait son regard profond qu’elle posait sur le monde sans complaisance, mais sans jugement non plus. Elle gardait au fond d’elle le souvenir des soirées sans fin, du partage de l’amitié et des folles échappées. Elle avait la nostalgie de ses tenues colorées, des fous-rires interminables et de l’inattendu qui surgissait alors au détour de chaque coin de rue. Elle étouffait dans ses dentelles et ses bas de contention. Elle avait essayé et assumé pour son fils son rôle de grand-mère parfaite, mais elle en avait assez.

Ce jour-là, elle arriva la première sur la terrasse du restaurant avec vue sur le lac et les montagnes enneigées.  Elle s’assit à la table réservée. Elle salua sa famille et parla poliment à sa belle-fille. Mais pendant le dessert, le soleil réchauffait l’atmosphère. D’un geste inattendu, elle défit son chignon, laissa tomber ses cheveux gris sur ses épaules, enleva sa veste grise très sage pour laisser apparaître un chemisier bigarré. Elle fit un geste au serveur qui, avec un sourire, régla la radio sur un air moderne. A ce moment, elle se leva, fit quelques pas de danse avant de se mettre à chanter au milieu des convives. Une grande bouffée d’air emplit ses poumons. Enfin !

Ketsia Hasler
avril 2018