La caravane longe la crête des dunes. Les silhouettes se détachent sur l’horizon. Il y a peut-être trente chameaux qui se suivent l’un derrière l’autre, à pas lents, sans bruit. Les larges pattes glissent dans le sable à la descente. Les lourds chargements balancent d’un côté et de l’autre. Les hommes marchent en tenant la bride.

Sur un seul chameau, une selle est dressée, chargée d’une silhouette claire. C’est la jeune fiancée que le chef de la caravane ramène chez son père, un marchand de Tombouctou. Le chef de la caravane a fait le voyage inverse il y a plusieurs semaines. Au marché de Taoudeni, il a échangé toutes les marchandises qu’il transportait contre des plaques de sel. Lors d’un repas donné au caravansérail, il a aperçu de loin une belle jeune fille qui s’esquivait dans le dédale des ruelles. Il a cherché à la retrouver par tous les moyens. A force de se renseigner, d’attendre, de chercher, de guetter, il a fini par la revoir à la sortie des bains du matin, fraîche et odorante comme une rose. Il lui a fait la cour avant de demander sa main à son père, le responsable du caravansérail. Celui-ci n’a pas accepté tout de suite, craignant de voir sa fille faire un si long voyage et s’éloigner de lui pour toujours.

Mais lorsqu’il a remarqué que sa fille chérie refusait de sourire, puis même de manger, il a cédé. Et c’est ainsi que la caravane a repris la route du désert pour joindre Tombouctou, emmenant la jeune fille de plus en plus loin de chez elle. Elle était toute excitée de traverser le désert, d’avancer au pas des chameaux et de découvrir des villes nouvelles. Au fil des jours, l’attrait de la nouveauté a diminué pour laisser place à une tranquille monotonie. Elle ne se lassait pas d’admirer la beauté des dunes, les vaguelettes laissées par le vent sur le sable, les couchers de soleil et les levers de lune, pourtant la rudesse de la selle, la longueur des marches et le «mâchouillis» des chameaux la fatiguaient. Son jeune fiancé, lui, était préoccupé par tout autre chose. Il cherchait quel cadeau il pourrait bien faire à sa promise pour l’assurer de son amour, il y pensait à chaque pas et ne se laissait pas troubler par les discussions échangées à voix basse par les chameliers.

La nuit tombée, autour du feu, il aurait souhaité pouvoir cueillir les étoiles et les fixer sur un bracelet pour sa bien-aimée ou alors chanter comme le sirli du désert et égrener une sérénade dans le silence des sables…

Un jour, à la croisée des chemins, la caravane croise un homme qui marche seul, vêtu de bleu, le visage caché, les yeux brillants comme des braises. L’homme leur demande de l’eau, ils lui offrent l’hospitalité du repas. Avant de reprendre sa route, l’homme remet un scorpion doré au chef de la caravane, en remerciement. Celui-ci hésite à offrir à sa belle ce symbole de guérison et de vie qui triomphe de tout, mais offrir le cadeau d’un autre ne lui convient pas. Il continue à chercher…

Plusieurs jours passent, sans rencontre… Le sable, la marche… Les mots échangés sont rares… Enfin, l’oasis apparaît au loin. Les voyageurs regardent fixement dans cette seule direction. Les palmiers se dressent à l’horizon. C’est là qu’il y a de l’eau, une halte bienvenue, le repos pour les chameaux et pour les hommes. La marche s’étire à l’infini, ce n’est qu’à la fin de la journée, dans le rougeoiement du ciel que la caravane atteint l’oasis. On abreuve d’abord les chameaux. L’équipage prend un bon repas, se désaltère et s’asperge. La fatigue du voyage s’évanouit sous le ruissellement de l’eau. Le soulagement est palpable. Après le repas, les chants et les danses supplantent le silence de la nuit. Le chef de la caravane et sa belle se sont esquivés, trouvant pour une fois un peu d’intimité pour se raconter leurs rêves et leur désir. Dans le cœur de la jeune fille, la mélancolie des jours précédents fait place à un sentiment tout à fait nouveau…

Au matin, le jeune homme croit avoir trouvé son cadeau. De grandes branches chargées de dattes sont disposées sur de belles feuilles de palmier dattier. Quoi de plus savoureux que des dattes au milieu du désert? La douceur sur la langue après la sécheresse et les grains de sable, comme l’amour qui adoucit la vie… Le jeune homme renonce: il recherche quelque chose que sa dulcinée puisse garder dans ses mains plutôt qu’un simple souvenir!

La caravane poursuit sa route vers le sud. Rapidement, l’oasis et ses palmiers disparaissent dans un dernier regard. L’immensité des dunes reprend ses droits, les chameaux leur rythme de marche et les chameliers fixent leur regard sur l’horizon.

Un jour, en plein soleil de midi, des enfants arrivent en criant de derrière les dunes. Ils ont surgi de nulle part! La caravane s’arrête.

Les enfants se dirigent tout de suite vers le chef de la caravane. Ils lui présentent de jolis colliers, des cœurs taillés dans de la pierre colorée. Son pouls s’accélère! Il sait qu’il a trouvé son présent. Il appelle sa fiancée et la laisse admirer les bijoux.

Elle aurait pu choisir le jaune doré du sable et du soleil, ou le rouge corail de l’amour et de la passion; elle a préféré le bleu du ciel qui tour à tour s’illumine d’étoiles ou se charge de nuages, mais qui abrite sans faille les amours des humains.

Depuis ce jour-là, elle porte à son cou ce joli pendentif et lorsque son jeune mari (et plus tard son vieux mari!) s’éloigne à travers le désert, elle caresse son collier et se souvient que l’amour est assez fort pour survivre à la chaleur de midi comme au froid de la nuit, à la sécheresse du désert comme à la force des fleuves, à la passion des commencements comme à la longueur d’une vie…

Remarque:
Ce texte est intégré dans un recueil de nouvelles intitulé “Chut, regarde…
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